La place du corps de l’élève dans la classe
Interrogeons nos représentations
Les représentations de la salle de classe
C’est en s’intéressant aux représentations actuelles d’une salle de classe que nous pouvons interroger la place du corps dans la classe : Comment vous représentez-vous une salle de classe ? Voyez-vous des élèves alignés les uns derrière les autres, assis derrière des tables, sur des chaises face au tableau, les regards tournés vers le professeur ? Cette description d’une salle de classe « classique » est celle qui est la plus véhiculée : c’est celle que nous présente en premier les moteurs de recherche quand nous cherchons une image de salle de classe. C’est également celle qui illustre de nombreux articles sur l’éducation et sur le métier de professeur. En voici quelques exemples :
La représentation dominante d’une classe aujourd’hui n’est guère éloignée d’une classe de 1920.
.Photo d’une classe des années 1920 Photo d’une classe aujourd’hui
Les représentations du corps de l’élève
Tout comme les représentations de la salle de classe, celles du corps de l’élève dans la classe n’ont guère changées : l’ espace scolaire évacue tout rapport au corps dans les savoirs, en dissociant l’esprit du corps : apprendre, enseigner c’est faire parler l’esprit et faire taire le corps. D’ailleurs, le corps est à moitié caché par la table. Le mobilier scolaire a peu évolué : les chaises, sur lesquelles les élèves s’assoient durant le temps d’apprentissage ; les tables, qui cachent partiellement le corps. Pour Veronique Girard et Marie-Joseph Chalvin, « le haut est valorisé (éléments nobles, tête, ciel…), le bas devrait se faire oublier (passage aux toilettes, les pieds et les jambes qui disent le stress ou le malaise). »
Dès l’entrée au CP, les élèves doivent intégrer une norme corporelle qui leur demande de maitriser leur corps, de l’immobiliser : assis, le dos courbé sur sa feuille, l’enfant est perçu comme étant au travail. Un enfant qui se tient droit, qui est « bien assis » sur sa chaise est considéré comme un enfant attentif ; dans les représentations, la posture et l’attention sont liées. Le corps relâché, est perçu comme le signe d’un manque d’attention, d’un manque d’efforts, d’un élève qui n’apprend pas.
Le corps de l’enfant qui bouge, dont les jambes gigotent, qui se balance, est considéré comme déviant, gênant, en dehors de la norme, des codes mis en place dans la classe. Pour Claude Pujade-Renaud, « être «bon» élève, c’est non seulement réussir un certain nombre de prestations intellectuelles et verbales, c’est aussi avoir acquis les «bonnes»manières corporelles. Un façonnage, qui s’est opéré dès l’entrée à l’école, s’est incarné dans le corps. »
Qu’en est-il des représentations de l’élève, comment perçoit-il son corps dans l’espace de la classe ? Claude Pujade-Renaud s’est intéressée, dès 1983, à la place du corps dans la classe, en menant une recherche sur le corps de l’élève dans la classe. Elle questionne la place du corps du point de vue des élèves en menant des entretiens avec des adolescents. Le corps est présenté comme un objet passif, immobile, qu’on cherche à oublier et à faire oublier et qui parfois n’est plus habité lorsque les pensées s’échappent et que l’esprit divague. Claude Pujade-Renaud le définit par le terme d’ « élève zombie ».

Nous avons interrogé des élèves de CE2 sur l’usage de leur corps dans la classe. Voici les trois réponses qu’ils ont données à la question « A quoi te sert ton corps dans la classe ? » :
- à écrire
- à lever le doigt
- à rien
La place du corps dans les apprentissages
Dès 1958, Maria Montessori s’est interrogée sur la pertinence d’associer l’immobilité à l’apprentissage et sur le sens d’un enseignement contraignant le corps : « Nous ne considérons pas qu’un enfant soit discipliné quand ses professeurs ont réussi à le rendre aussi silencieux qu’un muet et aussi immobile qu’un paralytique. Un tel individu n’est pas discipliné mais annihilé. »
Denis Hawn, professeur de psychologie du sport à l’Institut des Sciences du Sport de l’Université de Lausanne, soutient une vision globale de l’être humain : l’être humain n’est pas morcelé mais doit être considéré comme un tout, le cognitif, les émotions et le corporel interférant, s’entremêlant, agissant ensemble . Apprendre, acquérir des connaissances, c’est agir, c’est interagir avec les autres, avec son environnement. On apprend, on comprend par l’expérience vécue à travers son esprit et son corps : « engager la totalité de l’organisme (une personne) dans les activités qu’il entreprend permet de mettre en résonnance des informations sensorielles, émotionnelles, cognitives et expérientielles en participant à leur développement et à leur enrichissement. »
Pour Denis Hawn, « l’élève dans une classe est d’abord le corps de l’élève dans une classe. Une partie de son identité s’y trouve déposée. Le corps doit être envisagé comme une ressource pour l’apprentissage et un premier niveau d’intervention serait de l’aider à se mettre dans les meilleures dispositions pour s’engager dans une activité d’apprentissage. »
Il explique que le mouvement fait partie intégrante de l’apprentissage ; il permet d’ « ancrer corporellement les apprentissages ». Il rappelle qu’un enfant a besoin de bouger, qu’il interagit avec les autres et le monde en étant mobile, en étant en activité. Plusieurs recherches, montrent qu’associer l’apprentissage avec une activité corporelle peut avoir un effet sur les processus d’apprentissage et de mémorisation.
Nous nous interrogeons, quant à nous, sur les liens entre immobilité et élèves dits « perturbateurs » : contraindre ou faciliter le mouvement du corps peut-il avoir un effet sur le comportement des élèves en classe ?
La question de la chaise

Donner une place au corps des élèves dans la salle de classe, nécessite d’abord de travailler sur soi et sur sa représentation des élèves et de la classe : c’est déconstruire cette représentation profondément enracinée que pour apprendre, il faut être immobile, assis sur une chaise. C’est aussi réaliser que contraindre des élèves à s’asseoir cinq heures par jour est source d’inconfort pour eux. Dans un article, qui analyse la position assise, ses normes, son évolution au cours des siècles, Frédéric Srour, rapporteur du projet M’ton dos et Daniel Ribaud Chevrey, kinésithérapeute expliquent que la position assise et le mobilier scolaire ont un rôle dans le mal de dos des enfants et des adolescents. Ils indiquent que » la position assise à angles droits décrite par Andry de Bois Regard en 1741, comme étant « la seule bénéfique pour la santé » est à l’évidence impossible à tenir pour un enfant ou un adolescent tout au long d’une journée. » Lorsqu’un élève place son buste plusieurs heures de suite à 90° par rapport à ses cuisses, cela provoque une pression intra-discale et entraine des douleurs au dos. Les auteurs plaident pour un mobilier qui permette aux élèves de changer de position tout au long de la journée, passant d’une position assise statique à une succession de positions assises, adaptées à leurs besoins. Ils défendent également l’idée de former les élèves à leurs besoins corporels et ce dès l’école primaire afin de développer une prise de conscience corporelle.
La classe nomade
CAREducativ expérimente le concept de « classe nomade » : il s’agit de mettre à disposition des élèves un petit mobilier mobile, que les élèves peuvent déplacer, installer où ils veulent et utiliser selon leurs besoins autant d’un point de vue corporel que cognitif. Ce n’est pas l’enseignant qui conçoit seul l’espace de sa classe : l’espace est co-construit par l’enseignant et les élèves. C’est un espace mouvant qui varie au gré des activités et des besoins. Ce dispositif demande en amont un travail, « méta-corporel » avec les élèves : apprendre à se connaître, à connaître ses besoins corporels, à faire le lien entre le corps et les apprentissages, à expérimenter différentes positions et à pouvoir choisir celle qui leur semble appropriée à la situation, à l’activité, à l’apprentissage. Cette réflexion sur les besoins du corps est reliée à une réflexion sur l’apprendre à apprendre : c’est associer le métacognitif et le méta-corporel pour que l’élève puisse se percevoir dans sa globalité. Voici une parole d’élève inclus dans ce dispositif :
La maitresse donne une consigne. Je dois être attentif à ce qu’elle dit. C’est difficile quand je suis assis. J’ai envie de bouger, j’ai mal aux jambes et au dos et ça me gêne. alors je me mets debout parce que je suis plus attentif debout. »
On peut faire passer en début d’année un questionnaire aux élèves qui leur permette de réfléchir à ce qu’ils ressentent quand ils sont assis . Cela peut permettre d’engager une réflexion sur le corps, ses besoins et les espaces de la classe. En voici un exemple :
Sources :
Juliette François, Isabelle Grossetête, Etre bien pour apprendre, Nathan 2020
Veronique Girard, Marie-Joseph Chalvin, Un corps pour comprendre et apprendre, NathanPédagogie, 1997
Denis Hauw, Apprentissage, mouvement et activité située, Dossier Apprendre en mouvement, Revue pédagogique Hep Vaud 19, novembre 2013
Maria Montessori, La pédagogie scientifique appliquée à l’éducation des enfants, 1958
Claude Pujade-Renaud, Le corps de l’élève dans la classe, Paris, L’Harmattan, 1983
Frédéric Srour, Daniel Ribaud-Chevrey, position assise, posture statique ou dynamique ? Kiné Point Presse, juin 2008