Etre bien dans l'espace scolaire

L’espace, le lieu: quelle perception?

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Le lieu est défini dans le Larousse comme un endroit, un local, considérés du point de vue de leur affectation ou encore comme une situation spatiale permettant de déterminer une direction, une trajectoire. Le lieu est perçu comme un simple réceptacle statique, une chose abstraite une entité uniforme.

Michel Lussault est géographe, il place le lieu dans une idée d’espace de vie en totale interaction avec son environnement. Chaque individu est en permanence en interaction avec son environnement, il vit des expériences spatiales.[1]. Selon lui, il convient d’adopter une pensée spatiale pour appréhender les faits sociaux. Le géographe se focalise alors sur l’étude de la spatialité, c’est-à-dire à celui du « faire avec l’espace » des opérateurs spatiaux.[2] Quand un sociologue analyse un groupe, ses interactions, son rapport au temps, il est indispensable d’envisager également la dimension spatiale.

D’autres chercheurs développent ce thème au niveau de l’établissement scolaire. Pascal Clerc travaille sur l’espace de la classe. Il réalise actuellement en collaboration avec des chercheurs et des membres professionnels associés du laboratoire EMA une grande enquête sur les dispositifs spatiaux des classes, c’est-à-dire sur l’agencement des classes. Muriel Monnard développe une étude sur les espaces hors de la classe. Elle analyse les rapports entre élèves en fonction de leur place dans la cour de récréation.

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Dispositif spatial
Maquette réalisée par un groupe d’élèves de CM1

L’élève et l’espace scolaire   

L’enceinte scolaire dans laquelle les élèves évoluent, est une micro-société faite de rapports de pouvoir. L’établissement scolaire est un lieu d’expériences multiples pour des adultes en devenir. Muriel Monnard et Jean-Baptiste Bing interrogent les parcours d’élèves de 12/15 ans. Le chemin de l’école ou dans l’école est un moment interstitiel, un moment creux durant lequel l’élève n’est pas encore dans son métier d’élève, il est dans un entre-deux: il a quitté la maison, il n’est pas encore à l’école, il n’est pas encore dans la classe. Les auteurs considèrent le parcours pour se rendre à l’école, le chemin pour accéder à sa classe comme un interstice, un temps de passage entre le temps extra-scolaire et le temps scolaire.

On peut qualifier de moments interstitiels des élèves les moments qui ne relèvent
qu’imparfaitement des temps scolaires ou extrascolaires, « ces moments creux » entre
les cours (Sgard et Hoyaux 2006) ou sur le chemin de l’école
.[3].

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le couloir: espace/temps interstitiel


Ils montrent que le rythme adopté par un élève pour se rendre en classe ou à l’école donne à voir la manière dont il se place en regard de l’institution scolaire. Le rythme choisi sera plus ou moins différent du rythme scolaire qui est imposé, le même pour tous, uniforme, et globalement vécu comme une contrainte.

Comment on se rend en classe? A quel rythme on accède à son établissement? Les éléments relevés dans l’enquête des chercheurs montrent l’adolescent investit son métier d’élève. Les auteurs s’intéressent à la lenteur comme indicateur d’une rupture dans les interactions convenues et attendues. Le changement de rythme dans les déplacements vers et dans les espaces scolaires est alors décrypté comme une stratégie. Pour un individu comme pour un groupe, agir sur le temps en choisissant la lenteur ou la rapidité peut donc constituer, selon le contexte, un acte de résistance ou d’adhésion aux valeurs socialement partagées.

Ces espace-temps interstitiels sont propices à l’adoption d’un positionnement de l’adolescent par rapport à son métier d’élève car il a, à ce moment précis, le choix de la lenteur ou de la rapidité. Les statistiques PISA montrent que plus les élèves européens grandissent et moins ils disent aimer l’école. L’ordre d’arrivée en classe  dans cette étude corrobore cette tendance européenne, il y a les premiers qui sont souvent les premiers de la classe et les derniers qui sont souvent les derniers de la classe.

Vivre les lieux

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Les objectifs majeurs d’un collégien: apprendre, se socialiser (Allen, 1986)

L’établissement scolaire peut être perçu comme une entité unique, uniforme, un espace global dans lequel l’enfant vit sa vie d’élève.

Un individu peut-il vivre des expériences spatiales multiples au sein d’un même lieu, avoir un ressenti différent en fonction du lieu de l’établissement ?

Une étude de 2018 d’Isabelle Joing et all [4]s’intéresse à la qualité des expériences qu’un élève vit dans les différents lieux de l’espace scolaire. Les auteurs montrent qu’un établissement loin d’être uniforme, est en réalité multiple. Un établissement scolaire est constitué d’espaces qui ont tous des fonctions bien définies. Il y a bien sûr l’espace d’apprentissage avec la traditionnelle salle de classe, mais il y a aussi les espaces d’intimité (les toilettes), les lieux de transition (les couloirs, le hall d’entrée), les lieux de socialisation (cour de récréation, foyer socio-culturel, cafétéria), les espaces institutionnels (administration). La présence de l’adulte est variable selon les lieux. Certains de ces espaces sont davantage réservés aux apprentissages, d’autres au vivre-ensemble. Le bien-être ressenti global peut varier en fonction du lieu situé au sein du même lieu uniforme que constitue l’établissement scolaire.

Le bien-être est lié à l’engagement de l’élève dans sa scolarité, sa motivation, à sa réussite également. Notons qu’un élève affirme avoir une bonne qualité de vie quand il se sent en sécurité, également quand l’environnement physique est approprié. Les facteurs liés au confort, comme la luminosité des salles de classe, l’acoustique, la qualité de l’air, ont une influence positive sur le ressenti de l’élève et également sur ses performances scolaires. La théorie de l’auto-détermination postule que le bien-être est lié à la satisfaction de trois besoins psychologiques fondamentaux (« The Basic Psychological Needs Theory » Ryan&Decci,  2001, 2002) : l’autonomie, l’appartenance sociale et le sentiment de compétence.

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Quelle est l’impact de certains facteurs, tels que la luminosité, sur le ressenti de l’élève?

Dans cette étude, plus de 2000 collégiens de 12 à 15 ans sont amenés à se prononcer sur leur ressenti dans les différents lieux de leur établissement. Les élèves majoritairement se sentent bien dans les espaces de socialisation tels que la cantine, ou les vestiaires de sport. Ce sont des lieux dans lesquels les élèves sont ensemble, en autonomie, plus ou moins loin du regard de l’adulte. Ils apprécient également le CDI, un lieu dans lequel on apprend seul, autonome, à son rythme. Le ressenti négatif est élevé vis-à-vis des lieux d’intimité, comme les toilettes, sans doute dû au manque d’hygiène,de confort. C’est aussi un lieu où les incivilités sont nombreuses.

Plus les élèves considèrent le lieu comme agréable, propre et accueillant, plus les expériences vécues dans ce lieu seront positives. Si on garde en mémoire que les élèves poursuivent deux objectifs majeurs : apprendre et se socialiser (Allen 1986), il est important d‘envisager que l’établissement scolaire soit en mesure de répondre aux attentes des usagers, à savoir les élèves, de penser la fonctionnalité des lieux autour de la satisfaction des besoins d’autonomie et de socialisation.

[1]  Lussault M.  – L’expérience du territoire, apprendre dans une société urbaine – Diversité n°19 | 2018

[2] Lussault M.  – Ce que la géographie fait au(x) monde(s)  – Tracés. Revue de Sciences humaines | 2010

[3] Bing J.B., Monnard M. – Sur le chemin et dans l’école. – Espacetemps.net – Penser les humains ensemble | 2015

[4] Joing I., Vors O., Llena C., Potdevin F. Se sentir bien dans chacun des lieux de l’espace scolaire au collège. Le rôle de l’autonomie, de l’appartenance sociale, de la perception du lieu et du sentiment de sécurité. Spirale : revue de recherches en éducation  | 2018